ON A TOUS QUELQUE CHOSE EN NOUS DE CHIMPANZÉ

La querelle a éclaté le 17 mai 2006, lors de la publication d’un article par la prestigieuse revue britannique Nature. Selon les auteurs, quatre généticiens américains, hommes et chimpanzés entretiendraient des liens bien plus étroits que tout ce que l’on avait imaginé jusqu’à maintenant. Pas de quoi lancer une révolution ! Certes, mais les paléontologues ne l’entendent pas de cette oreille-là.

Longtemps, l’Homme s’est attribué la place d’honneur tout au sommet de la Scalae Naturae, l’échelle des êtres, surplombant tous les autres animaux. Autres… Pas tout à fait, puisque lui ne se considérait pas comme tel. Cependant, les grands singes ont toujours posé un problème aux philosophes et aux scientifiques. Ils se sont souvent vus attribuer une catégorie à part, plus tout à fait animaux ni tout à fait humains. Les Similitudines Homini comme les appelait le théologien Albert le Grand au 13eme siècle. Bien avant cela, en 325, J.-C.Aristote les plaçait dans une classe intermédiaire qu’il dénommait quadrumanes. Il faudra attendre le 18eme siècle et le célèbre botaniste Carl von Linné pour voir réunis dans une même catégorie, les Anthropomorpha, hommes et grands singes (mais curieusement aussi les paresseux).

Les singes jouent bel et bien un rôle fondamental dans la question de l’identité de l’Homme par rapport aux autres animaux. Tour à tour abhorrés ou révérés selon les cultures et les croyances, ils occupent une position charnière, entre nature et culture, monstre et animal, bestialité et Humanité.

 

La découverte des grands singes et la publication en 1859 de L’Origine des Espèces par Charles Darwin va cependant marquer un tournant décisif dans le débat : l’Homme était sur le point de devenir un singe comme les autres.

A partir du milieu du 20eme siècle, les études et expéditions de terrain se succèdent. Le paléo-anthropologue Louis Leakey envoie ses  trois anges  ; Jane Goodall, Dian Fossey et Biruté Galdikas étudier respectivement les chimpanzés, les gorilles et les orangs-outans dans leur milieu naturel. Visionnaire, il savait que pour mieux comprendre nos origines, il fallait mieux comprendre nos plus proches cousins, les grands singes. Plus tard, dans les années 1980, les études de Takayoshi Kano sur les bonobos, ces grands singes oubliés, également appelés chimpanzés pygmées, vont à nouveau révolutionner la primatologie et notre vision de l’Homme et de son évolution…

Depuis plus d’un demi-siècle, les découvertes se succèdent. En 1964 la primatologue Jane Goodall observe les chimpanzés de Gombe, fabriquer et utiliser des outils, sortes de canes à pêche pour attraper termites et fourmis, un comportement dont la divulgation au sein de la communauté scientifique et du grand public fait voler en éclat les dernières frontières que les philosophes avaient pris soin de tracer entre l’Homme et l’animal. Puis, c’est l’existence de comportements traditionnels, de cultures, de comportements d’entraide, de partage, d’enseignement qui sont observés dans les communautés de grands singes sauvages. En parallèle, des études et expériences en laboratoire et en zoo apportent des éclairages supplémentaires à de nombreuses capacités cognitives et comportements. Ainsi, les grands singes se reconnaissent dans un miroir – une forme de conscience de soi -, ils peuvent apprendre et maîtriser un langage symbolique complexe de plusieurs centaines de signes, font preuve de machiavélisme et s’avèrent d’habiles politiques.

Une autre découverte capitale eut lieu en 1975 : Jane Goodall fut témoin de véritables guerres inter communautaires chez les chimpanzés sauvages. Fini l’image du chimpanzé bon sauvage à la Rousseau dépeint par Jane Goodall elle même pendant des années ! Au sein du sérail scientifique, l’électrochoc fut immense.

Puisque les primatologues clamaient haut et fort la proximité génétique, comportementale et cognitive entre hommes et chimpanzés, il fallait se rendre à l’évidence : la violence était naturelle chez l’Homme, un pur produit de l’évolution.

Le chimpanzé était soudain devenu un cousin bien encombrant et gênant pour notre généalogie. Heureusement, avec  l’invention  du bonobo, nouvelle espèce de chimpanzé découverte tardivement, car cantonnée à une enclave de forêt inondée du nord de la République Démocratique du Congo – qui depuis s’est révélé génétiquement plus proche encore d’Homo sapiens que le chimpanzé commun – les scientifiques trouvèrent enfin une porte de sortie. En effet, le bonobo a trouvé une parade pacifique à la résolution de conflit : l’usage du sexe. Chez les bonobos, c’est programme sexe contre nourriture. Ce sont d’abord les femelles qui dominent, et le sexe se substitue à la violence, et fonctionne comme un ciment social. Une certaine forme de politique, bien différente de celle pratiquée par les chimpanzés.  Peace & Love  revisité !

Une question demeure cependant. Qui sont les ancêtres communs aux chimpanzés-bonobos et aux hommes et à quand eu lieu LA séparation ? Hypothèses et spéculations fourmillent d’après l’examen de toujours trop rares fossiles. Cette nouvelle étude, basée sur l’analyse génétique, offre un tout autre tableau que ce qui a toujours été proposé jusqu’alors, un tableau qui ne plaît pas à tous, loin de là !

En effet, selon les résultats de l’équipe, obtenus en comparant l’ADN des deux espèces, la spéciation, c’est-à-dire la séparation en deux espèces distinctes, se serait opérée il y a environ 6 millions d’années et non pas 8, 9 ou 10, comme l’avaient avancé les spécialistes de fossiles. Pire encore : les généticiens sont persuadés que les chimpanzés et les hommes, à peine divorcées, auraient continué à se conter fleurette pendant plus d’un million d’années. Notre vieux fantasme de la belle et la bête reprend ainsi du service avec ce métissage avéré.

Nous aurions donc tous quelque chose en nous de chimpanzé… Voilà de quoi faire sauter au plafond tous les adeptes d’une vision anthropocentrique du monde, qui place l’Homme au sommet de l’évolution.

Quant aux paléontologues, voilà leurs fossiles vedettes passés du rôle de plus vieil ancêtre de l’Homme à celui de banal grand singe. Que faire ainsi de Toumaï, notre très lointain aïeul, découvert au Tchad en 2001 ? Il vivait il y a 7 millions d’années, une époque où hommes et chimpanzés ne formeraient alors qu’une seule et même espèce ? Les inventeurs de Toumaï, Orrorin & Co, ne peuvent avaler la nouvelle théorie des généticiens et pour eux, les vieux os parlent bien plus que quelques gènes éparpillés sur des chromosomes ! Mais alors, que penser de tout cela ? Si les paléontologues tiennent tant à repousser la naissance de l’Humanité, n’est-ce pas pour mieux assurer à leurs fossiles respectifs le rôle-titre du premier homme ? Ce que cet article nous apprend également, c’est que tout ce que nous pouvions soupçonner, eu égard aux observations comportementales des grands singes actuels, se révèle plus que jamais exact : hommes et grands singes font bel et bien partie du même album de famille. Quant à savoir s’ils ont batifolé… Les frontières entre espèces ressemblent souvent à des passoires, c’est donc plus que plausible et probable. Finalement, le plus important à retenir de tout cela, c’est que nous sommes intimement liés aux grands singes et que nous devrions leur prêter un peu plus d’égard et d’attention car sinon, ils rejoindront bientôt par notre faute, la longue et très ouverte liste des espèces disparues.

 

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