Assolements

(Agriculture). La force productive d’une terre est bientôt épuisée, lorsqu’on lui demande sans interruption les mêmes produits : ce fait, connu de toute antiquité, est la base des assolements. Les cultivateurs désignent sous le nom de sole la partie des terres de leur exploitation qu’ils consacrent à une culture spéciale. Régler l’assolement d’une terre, c’est, d’une part, fixer l’étendue de chaque sole ; de l’autre, déterminer la place que chaque plante admise dans l’assolement doit successivement occuper. Il y a donc, dans la succession des récoltes à demander à la terre, un ordre à observer pour obtenir la plus forte somme possible de produits utiles, tout en maintenant ou même en augmentant la fertilité du sol. L’expérience a constaté que les récoltes épuisantes doivent alterner avec les récoltes fertilisantes ; on sait, en effet, que certaines plantes, les céréales, p. ex., vivent plus aux dépens du sol qu’aux dépens de l’atmosphère : ce sont les plantes épuisantes, parmi lesquelles sont rangées aussi le lin, le chanvre, le colza, etc. ; d’autres, comme les légumineuses en général et les légumineuses fourragères en particulier, vivent plus aux dépens de l’atmosphère qu’aux dépens du sol : ce sont les plantes fertilisantes ; telles sont en première ligne le trèfle, le sainfoin et la luzerne. Enfin , on sait encore que toutes les plantes épuisantes ne prennent pas à la terre les mêmes doses des mêmes principes ; le sol, en produisant les unes, se repose de la fatigue causée par la production des autres. C’est ainsi que les céréales succèdent avec avantage aux légumineuses, parce que ces deux séries de plantes ne demandent pas à la terre les mêmes éléments.

Les propriétés de chaque plante sous ce rapport étant bien connues, le cultivateur, s’il possède, d’ailleurs, des notions suffisantes sur la nature de la terre qu’il exploite, arrive sans peine à déterminer et à appliquer avec succès l’assolement qui lui convient le mieux. Le meilleur assolement est celui qui, sans fatiguer le sol, place chaque plante cultivée dans les conditions les plus favorables pour produire tout ce qu’on peut en attendre. Il n’y a d’exception à cette règle que pour le cultivateur qui, par suite de circonstances exceptionnelles, dispose en faveur de sa terre d’une quantité d’engrais telle que les cultures les plus épuisantes sont sans influence sur sa fertilité : c’est l’exception qui confirme la règle. — Dans la pratique, l’application de ces principes est subordonnée pour le fermier à la nature de son bail ; dans beaucoup de départements, les propriétaires en sont encore à imposer aux fermiers l’obligation de ne pas dessoler, c.-à-d. de ne pas changer l’assolement pratiqué selon les usages du pays. Ces usages fussent-ils absurdes, il faut bien que le cultivateur s’y conforme, sous peine de n’avoir pas de terre à cultiver. Durant tout le dernier siècle, l’assolement le plus généralement suivi était triennai ; il comprenait un froment ou un seigle, selon la nature des terres, une seconde céréale, orge ou avoine, puis une année de jachère complète. Cet assolement défectueux est encore une nécessité pour le fermier qui ne peut obtenir qu’un bail de 3, 6 ou 9 années. Les cultivateurs les plus éclairés, lorsqu’ils sont libres de cultiver selon leurs lumières, et qu’ils obtiennent des baux à plus long terme, suivent généralement en France, dans les pays de grande culture, un assolement alterne quadriennal, dans lequel une céréale ne succède jamais immédiatement à une autre, et où la jachère est supprimée. Il comprendra, p.ex., la 1re année, une récolte sarclée sur la fumure ; la 2e année, une céréale, froment ou seigle ; la 3e année, un trèfle ou un sainfoin semé dans la céréale : la céréale revient la 4e année, avec une dose modérée d’engrais pulvérulent répandu en même temps que la semaille de la céréale. Cet assolement admet ainsi, pour chaque période de 4 ans, au moins une culture sarclée de racines fourragères, betteraves, carottes, rutabagas. Ces plantes ameublissent profondément la couche arable ; les soins particuliers qu’elles exigent purgent la terre des mauvaises herbes pour l’année où elle reçoit une semaille de céréales. Dans les fermes cultivées selon l’assolement alterne quadriennal, il y a toujours en dehors de l’assolement un certain espace consacré aux prairies artificielles de luzerne, trèfle ou sainfoin. Quand ces prairies sont épuisées, les racines qu’elles laissent dans la terre et qui s’y décomposent en accroissent la fertilité ; la prairie artificielle est refaite sur un autre point ; le sol qu’elle a occupé rentre dans l’assolement. Avec ce système, la subsistance du bétail, par conséquent, la production du fumier, est assurée sans le secours des prairies naturelles, seule ressource pour nourrir le bétail dans les exploitations soumises à l’assolement triennal. L’assolement alterne, bien qu’il admette un moins grand nombre de récoltes de céréales, augmente cependant la production des grains ; tout y est calculé pour que les récoltes de céréales compensent leur éloignement par leur abondance, tout en augmentant graduellement la fertilité du sol. En admettant, p. ex., que cet assolement soit en vigueur dans une exploitation de 100 hectares , on aura chaque année 25 hectares à fumer fortement pour la culture sarclée, betteraves, fèves, rutabagas, pommes de terre ou toute autre plante du même genre, selon les besoins de l’exploitation ; 25 hectares de froment ou de seigle, selon la nature du sol, occupant le terrain fumé l’année précédente pour la culture sarclée ; 25 hectares de prairies artificielles, trèfle ou sainfoin, semé dans la céréale de l’année précédente ; et 25 hectares d’orge ou d’avoine semée sur le trèfle enfoui après qu’il a été une année entière en plein rapport.

La durée de l’assolement peut être prolongée davantage suivant les circonstances particulières qui ne sauraient être appréciées que par un véritable agriculteur. Ainsi, p. ex., un assolement qui, loin d’épuiser la couche végétale, l’améliore au contraire, est le suivant, composé de 7 soles, savoir : 1re année, blé sur trèfle non fumé ; 2e année, féveroles sarclées en ligne, fumées à raison de 60 mèt. cubes par hectare ; 3e année, blé sans fumure, 4e année, fourrage vert ; 5e année, plantes sarclées, avec 60 mèt. cubes de fumier ; 6e année, orge et avoine chaulées à raison de 30 à 40 hectolitres par hectare ; 7e année, trèfle. Pendant la rotation, on défonce deux fois toutes les terres. — Voici, enfin, un dernier exemple d’un assolement alterne de dix ans, que l’on peut modifier de cent manières, et dans lequel le retour fréquent des racines, en nécessitant des binages réitérés, et en amenant ainsi le sol à un grand état de propreté, permet d’obtenir ces produits aux moindres frais possibles. Cet assolement, en 10 ans, donne cinq récoltes de céréales, cinq récoltes de racines, une récolte de trèfle et une de féveroles ; il est combiné de manière à produire une grande masse de nourriture de toute sorte pour le bétail, en même temps que beaucoup de paille et de grain : 1re année, pommes de terre binées, fumées ; 2e année, carottes binées, récoltées pendant l’hiver ; 3e année, orge avec demi-fumure ; 4e année, trèfle ; 5e année, froment ; 6e année, seigle ou avoine dans lesquels on sème des carottes travaillées à bras, en culture dérobée, et récoltées pendant l’hiver ; 7e année, betteraves fumées, binées ; 8e année, froment ; 9e année, féveroles d’hiver binées ; 10e année, froment avec demi-fumure, suivi de choux repiqués, de raves et de rutabagas, pris, comme les carottes de la 6e année, en récolte dérobée. La culture du lin, partout où le sol convient à cette plante, peut parfaitement entrer dans cet assolement la 4e année ; mais il faut que la récolte qui la précède ait reçu une fumure complète.

Ajoutons encore que les différentes propriétés des plantes et les procédés variés de culture qu’elles exigent ne sont pas les seules considérations qui doivent attirer l’attention du cultivateur. Il doit avoir égard à l’étendue de son exploitation et aux ressources dont il peut disposer, ainsi qu’aux débouchés que ses produits peuvent avoir. Cultiver des plantes qui exigent trop de dépense de main-d’œuvre, ou dont on ne pourrait se défaire que difficilement, serait une fâcheuse spéculation qu’il est sage d’éviter.

En résumé, l’art des assolements repose sur les principes suivants empruntés à M. Victor Rendu :

1° Approprier les récoltes à la nature du climat et du sol, ainsi qu’aux ressources dont on dispose ; 2° alterner les récoltes, de manière que celles qui précèdent assurent le succès de celles qui doivent suivre ; pour cela, reculer, le plus possible, le retour sur le même champ, des végétaux des mêmes familles, genre et espèce, ou qui se cultivent de la même manière ; 3° laisser le terrain nu le moins longtemps possible ; 4° entre deux récoltes épuisantes, placer une ou plusieurs récoltes améliorantes ; 5° substituer aux récoltes qui salissent le terrain, des plantes qui l’ombragent fortement ou qui demandent des binages ou des sarclages répétés ; 6° semer les plantes à fourrage dans la céréale qui suit immédiatement la récolte sarclée et fumée ; 7° réserver le fumier frais pour les récoltes sarclées ou fauchées en vert, au lieu de l’appliquer directement aux céréales ; 8° proportionner les récoltes qui ne rendent rien à la terre, avec celles destinées à retourner au sol sous forme d’engrais ; 9° disposer les récoltes de manière qu’il y ait le moins possible de labours à donner au sol et de fumure à lui appliquer ; 10° faire en sorte que le travail ne soit pas accumulé sur une seule saison ; qu’entre chaque semaille on ait le temps de donner au sol les préparations convenables, et qu’on puisse remplacer les récoltes qui viendraient à manquer.

Assolement (Horticulture)

Dans la pratique du jardinage, les principes applicables aux assolements agricoles ne trouvent plus leur application. Ainsi, pour le potager, avant que la terre soit réellement bonne, il faut qu’elle ait reçu en amendements, fumier, défoncements et labours, tout ce qui peut la porter à son maximum de fertilité ; après l’avoir amenée à ce point, il est indispensable de l’y maintenir ; le sol, qui continue ainsi à être largement fumé et cultivé avec des soins assidus, peut donner tout ce qu’on veut lui demander ; la nécessité de l’alternance des cultures n’existe pas pour un bon potager. Quelques principes doivent seulement être observés quant à l’ordre dans lequel se succèdent les plantes annuelles et bisannuelles, et les plantes qui occupent plusieurs années de suite le même emplacement. (Voy. Potager). Les pois, lorsqu’ils reviennent plusieurs années de suite à la même place, donnent des produits dégénérés, amers, dont la quantité diminue chaque année dans la même proportion que leur qualité ; il faut donc les changer de place tous les ans. S’il arrive que, pour la culture des pois précoces, par exemple, il n’y ait dans le jardin qu’un emplacement limité convenablement exposé, il faut en enlever la terre tous les ans pour la remplacer par celle d’un autre carré de jardin qui n’aura pas produit de pois depuis plusieurs années. Les haricots peuvent au contraire revenir plusieurs années à la même place et suivre n’importe quelle autre culture, sans que leurs produits diminuent soit en quantité, soit en qualité. Les pois fumés ne poussent qu’en tiges et en feuilles ; ils fleurissent peu et ne produisent presque rien ; on ne doit leur donner qu’un léger amendement de cendre qui rend leurs produits plus abondants et meilleurs. Les haricots, au contraire, sont d’autant plus productifs qu’ils ont été mieux fumés. Les plantes potagères cucurbitacées, citrouilles, melons, courges, cornichons, concombres, qui ne vivent que dans le fumier et par le fumier, sont exactement dans le même cas ; pour elles, il n’y a pas d’assolement, non plus que pour toutes celles auxquelles il faut donner une forte dose d’engrais ; on peut les mettre où l’on veut dans le potager et les faire précéder ou suivre de n’importe quelle autre culture. Les asperges, quand elles ont occupé le sol pendant 15 ou 18 ans et qu’elles y sont mortes de vieillesse, l’ont rendu impropre à ce genre de culture pour un intervalle de dix ans au moins. Ainsi, avant de songer à créer dans un jardin une plantation d’asperges, il faut commencer par s’informer s’il n’en a pas existé autrefois sur le même emplacement, et depuis combien de temps elles ont cessé d’y être cultivées. Quant aux arbres fruitiers, il n’y a pas d’assolement possible dans les jardins à leur égard ; là où l’un de ces arbres meurt de vieillesse, il faut renoncer à en planter un autre semblable, ou se résoudre à renouveler complètement la terre.

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